La Formule 1 est souvent présentée comme un véritable laboratoire technologique, où chaque composant du véhicule est optimisé pour extraire la moindre fraction de seconde au tour. Dans ce contexte, le volant de F1 n’est pas qu’un simple organe de direction : il concentre capteurs, interfaces et calculateurs, et devient l’interface critique entre le pilote et la machine. S’intéresser au bouton « régime moteur » peut sembler anodin, même si en réalité un seul appui déclenche une chaîne d’événements électroniques et logiciels exigeant une extrême rigueur.

L’objectif de cet article est de décrire, de façon technique et détaillée, le cycle complet du signal : depuis la détection mécanique de l’appui jusqu’à l’ajustement effectif de la cartographie moteur par l’ECU, en passant par la transmission sur le bus CAN et les contraintes temps réel associées.

1 – Le volant de F1 : un système embarqué à part entière

Le volant de Formule 1 d’aujourd’hui est une plateforme multifonction, regroupant :

Front‑end analogique & logique d’interruption

Chaque bouton (jusqu’à une vingtaine) est câblé via un réseau RC antirebond (valeurs typiques R = 10 kΩ, C = 100 nF) vers un comparateur interne au microcontrôleur, qui génère une interruption hardware (ISR) dès la détection d’un appui.

Microcontrôleur & contrôleur CAN

Les cœurs choisis sont souvent des ARM Cortex‑M7 (STM32H7, NXP S32K) ou des DSP temps réel (TI TMS320F2837x). Ils intègrent un module CAN natif conforme ISO 11898‑1/‑2, assurant arbitration, bit‑stuffing, calcul CRC‑15, détection et retransmission automatique en cas d’erreur.

Affichage & retour pilote

Un écran TFT couleur 4,3″ (piloté en SPI) et des LEDs RGB (pilotées en I2C) fournissent un retour visuel immédiat : régime moteur, état de l’ERS , confirmation des commandes, alertes de survitesse, etc.

Contraintes clés

  • Volant léger (< 1,5 kg, réglementation FIA)
  • Résistance aux chocs et vibrations
  • Fonctionnement de –20 °C à +80 °C
  • Compatibilité électromagnétique dans un habitacle particulièrement bruyant (interférences des moteurs, capteurs, etc.)

Volant de F1 moderne

2 – Technologies et protocoles

Le colonne vertébrale de la communication embarquée en F1 est le bus CAN haute vitesse (ISO 11898‑2). Ses caractéristiques :

Débit & topologie

  • 1 Mbit/s sur paire différentielle terminée par deux résistances de 120 Ω
  • Jusqu’à 30 nœuds sur un bus de 40 m

Structure d’une trame

  • ID : 11 bits (standard) ou 29 bits (étendu), priorité déterminée par la valeur la plus basse
  • Données : 0–8 octets
  • CRC : 15 bits + délimiteur
  • ACK et bit‑stuffing : insertion d’un bit inverse après cinq bits identiques pour maintenir la synchronisation horloge

Bit‑timing

Configuration précise des time quanta (Tq) via le Baud Rate Prescaler (BRP) et les segments de phase (Prop, Phase1, Phase2) pour atteindre un point d’échantillonnage optimal (~75 %) à 1 Mbit/s.

L’ECU

L’ECU central gère la cartographie moteur (injection, allumage, ERS) et d’autres sous‑systèmes critiques. Il se compose :

  • D’un contrôleur CAN natif pour recevoir les trames du volant et renvoyer des confirmations
  • D’un environnement temps réel (bare‑metal ou RTOS comme FreeRTOS/OSEK) pour orchestrer la lecture des trames, le calcul des nouvelles tables moteurs et l’émission du message de confirmation afin que le volant puisse mettre à jour son affichage.

3 – Du clic à l’action

Détection de l’input

L’appui sur « régime moteur » active le front‑end analogique, qui stabilise le signal (filtrage RC) puis déclenche une ISR.

Encapsulation et transmission CAN

L’ISR assemble une trame (ID dédié, DLC=1 octet) et la place en file TX du contrôleur CAN. L’arbitrage bit à bit du bus détermine l’accès, garantissant que la trame la plus prioritaire passe en premier.

Traitement dans l’ECU

Le contrôleur CAN de l’ECU détecte la trame, vérifie le CRC, puis poste un événement « mode moteur » dans une tâche haute priorité. Cette tâche :

  • Met à jour les tables d’injection et d’allumage
  • Ajuste le déploiement ERS
  • Calcul rapide : quelques centaines de µs

Retour d’information

Une trame d’acquittement (ACK) est émise par l’ECU et, à sa réception, le volant rafraîchit l’affichage TFT et allume la LED correspondante en < 1 ms, bouclant ainsi le cycle en ~2 ms.

Volant de F1 moderne

4 – Contraintes temps réel

Faible latence

Temps total ≤ 2 ms (ISR, arbitration CAN ≈ 64 µs + overhead, traitement ECU, retour visuel).

Gestion des erreurs

États error‑active/passive, mécanisme bus‑off recovery — l’ECU bascule en mode « fallback » si le bus devient instable, garantissant une fonctionnalité minimale.

Choix logiciel

  • Bare‑metal : latence réduite, empreinte mémoire minimale
  • RTOS : modularité, maintenabilité et planification déterministe des tâches critiques
Composant Approche typique Justification principale
ECU central (McLaren) RTOS propriétaire temps réel Traitement critique moteur, synchro ERS, sécurité
Volant RTOS léger ou bare-metal Selon complexité (TFT, boutons, feedback CAN)
Actionneurs simples Bare-metal Ultra faible latence, traitement direct
Capteurs intelligents RTOS embarqué Multi-tâches, bufferisation, diagnostic local

5 – Conclusion

En F1, le bouton « régime moteur » illustre à lui seul les défis des systèmes embarqués critiques : de l’électronique analogique à la trame CAN ISO 11898‑2, en passant par un calculateur temps réel et un retour visuel millimétré. La rigueur dans le dimensionnement du bit‑timing, la robustesse électromagnétique et la gestion d’erreur garantissent une latence ultra‑faible et une fiabilité indispensable. Ces mêmes principes structurent les architectures de l’aérospatial, du ferroviaire et du médical, où la sécurité et la réactivité sont tout aussi critiques.

Références